Philosophie et état de crise, chapitre 2 : la montée en pression
Ce que les crises provoquent en nous
Les crises provoquent de l’anxiété, du stress, pour certains un état de panique, souvent également de la révolte, une colère et une difficulté à faire son deuil de quelque chose …
En tant que spécialiste des crises, j’observe que la crise induit une sidération : pour s’en protéger, certains se retranchent dans une forme de déni et un refus de regarder le risque (ils font comme si tout allait bien et minimisent), pour d’autres, la sidération entraîne une amplification et une exagération du risque (c’est le catastrophisme).
La pression du danger
Sous la pression du danger, nous ressentons un besoin impérieux de revenir à l’équilibre, et de retrouver le contrôle de la situation. Ce besoin s’accompagne d’une décharge émotionnelle et d’une montée en pression où ce sont nos automatismes qui sont activés, et où notre cortex préfrontal (la partie de notre cerveau qui aide la réflexion) est en grande partie désactivé. Le cerveau passe en mode « émotionnel », l’agmydale (partie du cerveau limbique qui gère les souvenirs traumatiques et qui sert d’alarme) se suractive et désactive en partie le cortex préfrontal (qui gère la réflexion), nous ne parvenons plus à réfléchir de manière nuancée : nos comportements sont alors marqués par une « rigidité psychologique » accrue.
Tout se passe comme si nous n’avions plus le temps d’être réceptif et d’écouter : le flux de nos pensées s’accélère, nos pensées se concentrent sur les scénarios du pire (comme si cela allait nous permettre de savoir comment réagir, cela donne l’illusion de maîtriser la situation selon Daniel Goleman, dans son ouvrage « L’intelligence émotionnelle »), elles deviennent circulaires et tournent en boucle comme un disque rayé (précisément car nous ne savons plus prendre du recul pour réfléchir).
Entre action et anticipation Philosophie crise pression
Il faut noter au passage que le cerveau ne sait pas gérer en même temps : le basculement dans l’action immédiate, l’anticipation proche de l’action, la réflexion à froid pour élaborer une stratégie, et l’évaluation de notre action. Cette information est un élément essentiel pour comprendre pourquoi une crise peut provoquer une confusion mentale et une difficulté à se canaliser, nous pouvons être tiraillés entre le besoin d’agir vite, de réfléchir (1), la crainte des conséquences en cas d’erreur.
Nous avons alors tendance à chercher des justifications aux scénarios du pire, et à amplifier la dimension dramatique de la crise. Cette amplification est en grande partie liée au fait que sous l’effet de la sidération, nous nous sentons impuissants à résoudre le problème, ce sentiment d’impuissance intensifie l’angoisse ressentie, il peut ensuite provoquer des réactions inadaptées, une recherche d’échappatoires et de prétextes pour ne pas agir et ne pas faire face, ou encore des tentatives de « mise sous pression des autres », un peu comme si nous n’avions plus le temps de dialoguer…
Conséquences
Amplification et impulsivité
Nous amplifions(2) instinctivement le risque afin de mieux influencer les autres (cela passe par l’indignation, la colère, la théâtralisation : « c’est consternant », « c’est inacceptable », la généralisation : c’est toujours pareil avec toi, tu ne fais jamais …).
Nous devenons impulsifs et nous nous déchargeons de nos tensions sur les autres, sans filtre, parfois en oubliant que nous leur devons un minimum de respect.
Incapacités et approximations
Nous restons focalisés sur le passé, à ressasser notre colère ou nos regrets, incapables de rebondir et d’agir, et reprochons aux autres de ne pas avoir fait ce qu’il fallait avant, comme si cela avait été possible. Philosophie crise pression
Nous devenons approximatifs, grossiers et souvent manichéens dans l’appréciation des situations, nous réalisons des amalgames et nous aimons les explications simplistes, qui peuvent aller jusqu’au lynchage et la diabolisation …
Dogmatisme et autoritarisme
Nous devenons dogmatiques et certains de détenir la vérité, et nous voulons imposer notre compréhension aux autres sans argumenter, ce qui passe par un refus d’écouter des visions différentes, par la certitude de savoir ce qu’il faut faire et par du dédain, de la condescendance, du sarcasme, ou de la colère pour ceux qui pensent différemment.
Nous devenons autoritaires dans notre manière de communiquer parce qu’il faut agir, qu’on n’a pas le temps de discuter ou de réfléchir, ce qui coupe court au dialogue.
Paranoïa Philosophie crise pression
Nous avons besoin de trouver une explication et nous devenons paranoïaques et jugeants : si les autres ne font pas ce qu’il faut, c’est parce qu’ils sont « incompétents », ou qu’ils nous « veulent » du mal, ou qu’ils nous négligent comme si ils avaient agi intentionnellement ; cela peut être plus ou moins vrai, mais dans ce cas, nous ne voyons que le négatif. La solution la plus exploitée instinctivement est la recherche de bouc-émissaire et de coupable. Cette solution est commode parce qu’elle permet de se décharger de ses tensions sur quelqu’un, elle permet également de se déresponsabiliser et de ne pas avoir à affronter le problème : « c’est la faute aux autres ».
Besoin d’adhésion et de soutien
Mais la recherche de bouc-émissaire permet également de se mettre d’accord avec la masse, et de se fédérer contre quelqu’un. Nous avons en effet, en contexte d’insécurité, besoin de vérifier que nous ne sommes pas seuls à vivre la crise, nous recherchons des soutiens, des alliés. Ces liens se font le plus souvent par l’intermédiaire des confidences, des commérages, des ragots, des rumeurs.
Si je transpose ces phénomènes sur les crises sociales (politiques ou inhérentes au monde de l’entreprise), des clivages apparaissent : le plus fréquent est le clivage « conformisme » / « complotisme ». Les « complotistes » détectent des incohérences, des contradictions, des omissions dans le discours officiel et supposent (parfois avec raison, parfois à tort) qu’on leur cache des choses, certains vont plus loin, et élaborent des théories pour expliquer ce qu’on leur cache, parfois sur la base de « faits », parfois sur la bases d’indices très faibles, au risque de faire de la « politique fiction ».
Face à eux, les tenants de la position officielle évitent le plus souvent le débat, et au lieu de répondre en apportant des faits, tentent ou bien de discréditer les conspirationnistes en soulignant (là aussi à tort ou à raison) qu’ils sont excessifs et irrationnels, ou bien font diversion et focalisent l’attention sur autre chose. Le conformisme consiste à croire que ce que pense le plus grand nombre est vrai et bon, car sinon cela se saurait, mais c’est au risque d’être dans le déni à l’égard des constats et des expériences qui contredisent les certitudes acquises. Dans les deux positions, le risque d’erreur et par conséquent de conflit, consiste à prétendre détenir la vérité de manière dogmatique.
Faire preuve de philosophie
Bien sûr tous ces phénomènes ont le droit d’exister, nous avons le droit d’être vulnérables, d’avoir peur, d’être en colère, d’être suspicieux et d’avoir besoin de solutions …
Mais, si notre mental se laisse déborder par notre anxiété et nos émotions, le risque est alors de dépenser beaucoup d’énergie dans des voies sans issues, qui accentuent les tensions interne, les divisions entre personne. Le risque est finalement que, au lieu d’agir pour avancer, de rester coincé au milieu du gué, de s’enliser dans un statu quo qui ne fait pas avancer la situation…
Un tel fonctionnement illustre quelque chose d’essentiel : sous la pression de l’anxiété, nos pensées peuvent devenir stériles et paralyser l’action, l’agressivité peut devenir prédominante. Les groupes peuvent se diviser, se cliver dans des jeux de pouvoir, si le groupe n’est pas apte à se renouveler dans le respect de chacun et un minimum de dialogue.
Par la suite, lorsque les crises s’accumulent dans le temps et mettent à mal un système de manière chronique (couple, famille, équipe, société), le besoin de rupture devient pressant. Ceci a fait dire à certains dirigeants qu’il fallait une bonne guerre pour relancer une économie, un peu comme s’il fallait une catastrophe suffisamment forte pour faire diversion autour d’un enjeu supérieur, détourner l’attention des anciens conflits et mettre tout le monde d’accord.
Mais faut-il en arriver là ? Un tel mode de fonctionnement reste archaïque, il consiste à utiliser les rigidités et le manque de conscience des gens, il se borne à utiliser l’alarmisme pour focaliser l’attention. Ne pouvons-nous faire preuve de philosophie, apprendre à nous « renouveler » ensemble, et à faire renaître l’unité de la résolution de nos crises sans qu’une diversion ne soit nécessaire ?
Références
1) La bible de la préparation mentale, Christian Target, éditions Amphora
2)Ce mécanisme d’amplification est typique des phénomènes d’anxiété, le courant de pensée de la « thérapie stratégique » par Giorgio Nardone et Paul Watzlawick a élaboré une démarche thérapeutique nommée « la thérapie stratégique » très intéressante. Cf. L’ouvrage « Le dialogue stratégique » des mêmes auteurs.
Une réponse sur « Philosophie et état de crise, chapitre 2 : la montée en pression »
Oui c’est assez déroutant la réaction des uns et des autres en ces temps de crises. Et parfois on croit connaitre quelqu’un, et c’est là où on est face à des réactions qu’on n’aurait jamais imaginé chez ces personnes.