Enquête au pays du tofu
Et oui, on peut parler de véritable enquête au sujet de la production de tofu artisanal à Bali ! Du tofu (tofou en français et tahu en indonésien), on en trouve dans pratiquement tous les rayons de supermarché, sur tous les marchés locaux (les fameux pasar et « pasar malam » pour marché de nuit) dans tous les warungs et restaurants.
Par contre quand il s’agit de trouver et de rencontrer un producteur il faut mener des investigations… En ce matin, du 18 mars 2015, je suis donc emballée à l’idée de découvrir, avec Thierry, une petite fabrique de tofu, chez des balinais « pure souche« . Pour remonter la filière et arriver à dénicher cet atelier artisanal nous avons eu besoin d’un coup de main…
Nos « enquêteurs »
Ce sont deux guides balinais « Miasa » et « Gusti« , parlant le français, qui nous ont proposé de nous accompagner pour cette aventure. Miasa nous a téléphoné dans la semaine pour nous dire qu’il connait une famille qui travaille le soja dans la région d’Ubud. Il est prêt à nous accompagner car il n’est jamais allé sur place et la visite l’intéresse également à titre personnel. Comme bien souvent, même avec des guides « made in Bali », il n’est pas aisé de trouver notre route…..aucune pancarte…..après plusieurs arrêts auprès de locaux (c’est Bali….), nous arrivons enfin chez « Wawan« , dans le quartier de Dapdapan Pageng, au nord-est de l’agglomération.
Les protagonistes
Ibu (madame) Wawan Rain nous accueille avec chaleur pour nous livrer ses secrets de fabrication. Sur la photo ci-contre elle pose devant notre objectif avec sa maman de 108 ans… Elle est tout aussi heureuse de faire notre connaissance que nous le sommes de la rencontrer.
Wawan travaille en famille et c’est surtout son mari qui l’aide le plus. Le labeur (uniquement pour la fabrication) débute chaque jour à 11 heures pour se prolonger jusqu’en milieu d’après-midi. Wawan n’utilise pas de graines de soja Bio mais mais on ne peut guère lui en faire reproche car produire Bio à Bali c’est toute une histoire…
Tofu industriel au formol
En Indonésie les fabricants industriels, semi industriels et quelques artisans utilisent du formol en petite quantité, pour conserver le tofu (ce qui n’est pas vraiment bon pour la santé, surtout en consommation régulière…). Ce n’est pas le cas de Wawan qui continue de travailler « à l’ancienne« . Elle vend elle-même son tofu, artisanal, frais ou frit sur les marchés de nuit et à quelques marchands ambulants qui viennent s’approvisionner directement. Le lendemain, avant d’entamer la production elle peut également refaire quelques marchés matinaux. Cela fait de bonnes journées de travail quand on sait qu’elle utilise quotidiennement 100 kg de graines de soja pour produire 75 kg de tofu!
Visite guidée
La visite débute… soyez attentifs, c’est passionnant… Petites explications sur les graines de soja tout d’abord !!!!! Les graines de soja que Wawan Rain utilise pour travailler sont cultivées à Bali. Ce sont de petites graines qu’elle mélange avec d’autres qui poussent, cette fois-ci, à Lombok et qui sont beaucoup plus grosses. Pourquoi les mélanger? Parce qu’avec les deux variétés, le tofou se solidifie beaucoup plus facilement pour en obtenir la texture souhaitée. Mais revenons au process……
Etape 1 et 2 : le trempage et le broyage
Le trempage des graines de soja se fait dans un grand bac d’eau, pendant 2 heures. Les graines sont ensuite passées dans une broyeuse mécanique avec de l’eau pour en retirer une sorte de purée de lait.
Etape 3 : la cuisson
La cuisson de ce lait épais est réalisée sur un four à bois et dure 1h30. Le four est en pierre et le récipient, en pierre lui aussi, dans lequel on verse le soja constitue en quelque sorte, le couvercle du four. Wawan ne fabrique que du tofu, pas de Tempé (qui s’écrit aussi Tempeh) et rarement du lait de soja (ou uniquement sur commande). Le feu est alimenté par de longues planches qui dépassent du foyer et sont poussées dans le four au fur et à mesure qu’elles se consument. Quand le feu devient trop fort et que la température risque de compromettre le processus de cuisson, le mari de Wawan refroidit le foyer en aspergeant les planches avec un peu d’eau.
Etape 4 : on refroidit un peu
A l’aide d’un seau, le lait est transvasé dans une sorte de grand chaudron en pierre pour revenir lentement à température ambiante. Une partie fibreuse (l’okara en japonais) commence à se détacher et à émerger à la surface.
Etape 5 : 1ère filtration
Le mari de Wayan, aidé d’ un employé, s’empare d’un tissu qu’ils tiennent chacun par les extrémités pour en faire une sorte de passoire géante. Ils se positionnent au-dessus d’un plan de travail, plat et carrelé, pour que Wawan puisse y déverser, toujours avec sa louche et son seau, le lait refroidi. Les deux hommes filtrent en secouant le filet pour en récupérer une substance qui ressemble au caillé de lait de vache. C’est ce caillé (le tonyu) qui est utilisé pour obtenir le soja (après nouvelle cuisson et ajout d’un coagulant type Nigari). L’okara sert de nourriture aux « kucit » (cochons) du voisin pour les engraisser.
Etape 6 : filtration du caillé
Le caillé de lait est filtré au dessus du chaudron en pierre et dans un grand panier tressé en bambou sur lequel on positionne un tissu. Plusieurs dizaines de litres de caillé sont ainsi versé dans le filet qui est ensuite minutieusement refermé pour former un sac. Une nouvelle opération de filtrage peut alors débuter. Pour cette seconde filtration, le mari de Wawan monte sur une petite planche épaisse et rectangulaire qu’il pose sur le sac pour faire pression, en écrasant de son poids la texture du soja qui commence à se solidifier. Le processus se termine en positionnant sur la planche une lourde pierre qui termine le travail d’extraction. Le process dure environ 30 minutes et il est renouvelé 2 à 3 fois en fonction de la quantité à produire.
Etape 7 : le moulage
Ibu Wawan retire la pierre et la planche, ouvre le filet et dispose avec sa louche, le soja ainsi obtenu dans des cadres en bambou qui sont calibrés pour 4 portions. Et voilà c’est terminé! Nous dégustons avec un peu de sel. La texture est très onctueuse, différente de celle que nous connaissons en France, nous nous régalons… Le tofu frais est délicieux ainsi mais bien entendu il se cuisine facilement de multiples façons.
Avant de partir Wawan Rain nous présente sa maman Wawan Songkeg. Elle est aussi balinaise, végétarienne et plus que centenaire. Quand Wawan Songkeg est venue au monde il n’y avait pas de registre de naissance mais par recoupement de dates, la famille sait qu’elle est proche des 108 ans. Nous avons cru comprendre qu’elle ne consomme pas non plus de produits laitiers et d’œufs mais c’est moins sûr. A l’inverse il arrive que certains balinais aient un régime végétarien ou vegan et fassent des exceptions en consommant la viande des animaux sacrifiés pour certaines cérémonies.
Mais ce n’est pas le cas de Wawan Songkeg. Alors que ses enfants ne sont pas végétariens (ils ont même comme beaucoup d’habitants ici, un coq enfermé en cage), elle, continue de refuser de manger les animaux. Elle ne cède ni à la pression de la société ni à celle des traditions. Cette mamie au regard emplie de tendresse dégage une sérénité profonde, elle est la doyenne, parle peu mais occupe l’âme de ce lieu. Nous sommes sous son charme et cette rencontre, ce moment de partage resteront gravés dans nos esprits et nos mémoires…
Si un jour vous voulez visiter Bali avec nos amis guides francophones contactez-nous!
Miasa est vegan, Raka est végétarien et Gusti s’y emploie…
6 réponses sur « Production de tofu artisanal à Bali : résultat d’enquête »
Hello,
Passionnant ! C’est le type de visite très instructive que j’adore faire en voyage et même en France d’ailleurs.
Je ne connaissais pas le mode de fabrication du tofou et c’est vraiment top de le découvrir dans un cadre aussi authentique.
Cela me rappelle différentes découvertes :
– la « fabrication » de la gousse de vanille à madagascar (http://laterresurson31.fr/lile-de-madagascar/l%E2%80%99or-noir-de-madagascar-c%E2%80%99est-la-vanille/)
– le prahoc au Cambodge (http://laterresurson31.fr/au-cambodge/le-prahoc-lodeur-on-ne-sen-fish-pas/)
– les nouilles de riz, toujours au Cambodge (http://laterresurson31.fr/au-cambodge/fabrication-artisanale-de-nouilles-de-riz/)
Trouve-t-on du bon tofou en France ou est-ce mission impossible ?
Du tofou on en trouve partout en France et même dans les petits supermarchés de campagne. Par contre du tofou artisanal c’est plus rare. Certaines personnes aiment bien le fabriquer elles mêmes. J’ai appris dernièrement qu’à Strasbourg un artisan arrive à vivre de sa production qu’il vend en Allemagne. Mais il y a 10 fois plus de végétariens chez nos voisins…
C’est vraiment un reportage intéressant, merci! J’en apprends sur le tofu. Hum, le formol? ça doit être pour ça que je trouve ça franchement pas bon parfois…
Bonjour Anne, en fait dans l’article je mentionne bien que ce sont certains producteur (essentiellement industriels) en Indonésie, qui utilise le formol. Ce n’est pas le cas en France ni dans les pays occidentaux. La plupart de tofou vendu en France est également Bio. Je te conseille de lire l’interview d’Hervé Berbille, le spécialiste du soja en France, tu en apprendras plus sur cette merveilleuse légumineuse. La majeur partie des gens ne trouve pas le soja qu’on achète ici très bon. Celui de Bali a un goût différent mais pour quelqu’un qui n’a pas l’habitude ça reste assez fade. C’est un avantage avec ce produit en fait car quand on le cuisine on peux on faire ce qu’on veut. Il faut souvent le faire mariner ou le marier avec des épices et du coup on peut le mettre à toutes les sauces… Merci de nous avoir lu et bonne fin de semaine!
J’en ai mangé pas mal en Chine, à Bali et au Sri lanka, et je le trouvais effectivement fade, mais mangeable. Ici, je le trouve vraiment infect (je n’ai peut être pas trouvé de bonne façon de le préparer?)!
Comme on dit Anne, les goûts et les couleurs… mais si tu dis qu’il est infecte c’est effectivement parce que tu dois apprendre à le cuisiner… Ce qui est sûr c’est que celui qu’on achète en France si tu le manges comme ça, tout frais sorti de son emballage, tu risques effectivement de pas l’apprécier! Nous ne sommes pas vraiment un blog de recettes en ligne. Nous publierons malgré tout quelques articles de recettes de temps en temps. Nous avons déjà publier un article qui explique comment passer au végétarisme. Si la cuisine du tofou t’intéresse tu trouveras des tas d’infos à ce sujet sur Google et les forums spécialisés. Bon appétit!