Mardi 4 juillet 2006, Toulouse, Cours Dillon
Il est bientôt 8 heures, nous sommes un petit groupe de défenseurs de la cause animale à attendre le car qui doit nous acheminer à Pampelune, capitale de la province espagnole de Navarre. Une fois par an, la ville commémore la fête de la St Firmin. A cette occasion de nombreuses corridas permettent de torturer et d’assassiner plusieurs dizaines de taureaux dans l’arène municipale. Les aficionados voudraient donner des racines historiques à cette barbarie et citent souvent cette tradition sanglante comme étant issue des jeux du cirque romain, notamment des combats de gladiateurs. En fait, la naissance de la corrida est beaucoup moins glorieuse car « c’est au 16e siècle, à Séville, que quelques employés des abattoirs s’amusant à pourchasser et esquiver les taureaux avant de les tuer, en sont à l’origine. Juchée sur les toits, la foule assiste à ce spectacle au grand désarroi des autorités. Ces dernières tentent d’interdire pendant deux siècles ces pratiques pour mettre un terme aux dégâts occasionnés. Ces spectacles sont aussi organisés dans des villes d’Andalousie, de Castille et de Navarre. Peu à peu ce divertissement devient une profession à part entière. Les premiers toreros rémunérés sont d’anciens employés des abattoirs. Une coutume veut que le dernier taureau soit livré à la foule qui le massacre allègrement ! » Source : lire l’article « Origine de la corrida » le site de la FLAC. Notons au passage que Saint Firmin aurait bien eu du mal à cautionner une telle cruauté puisque ce dernier est né au 1er siècle…
PETA
Le voyage, organisé par PETA, qui est une association internationale de protection animale, a pour objectif de nous opposer à cette monstrueuse tuerie et ce pour la 5ème année consécutive. La stratégie invariable adoptée par l’association est d’attirer l’attention des Pamplonicas et des nombreux touristes par un défilé appelé « la course humaine nue ». Il est malheureusement un fait que pour attirer en certains lieux, contre la souffrance animale, les foules et les médias, se mettre nu (ou presque) est une solution efficace. Notre défilé doit se produire avant l’un des traditionnels « encierro » (lâcher de taureaux dans les rues) et empruntera le même trajet qui conduira les pauvres bêtes à une souffrance atroce ainsi qu’à une mort certaine.
Notre car arrive avec un léger retard. Le temps d’une pause, nous embarquons avec des camarades déjà à bord depuis Nice, Marseille et Montpellier. Le rassemblement draine quelques 700 personnes de tous pays, France, Italie, Croatie, Portugal, Allemagne, Inde, USA, Canada, Australie, Grande-Bretagne, Belgique, Mexique…Il y a aussi 5 bus espagnol dont 3 de Barcelone, ville récemment déclarée « anti-corrida » par sa municipalité tout comme les villes de Torello, Calldetenes, Olot ou encore celles de Calonge, Tossa de Mar, Vilamacolum ou La Vajol qui ont mis « ce sport » hors-la-loi. Pendant le trajet je fais connaissance de mes compagnons de lutte. Je pose des questions, j’écoute et me dévoile. J’écoute attentivement Fabrice Alvarez, notre chef de groupe, militant à l’expérience endurcie. Je me culpabilise un peu. A 40 ans je commence tout juste à militer et mesure combien de temps j’ai égoïstement perdu. Autant de temps gaspillé à ne rien faire d’autre que d’hypothéquer l’avenir des nouvelles générations car c’est bien de cela dont il s’agit. La corrida est emblématique de la souffrance des êtres vivants communément appelés « animaux ». Vouloir l’abolir c’est vouloir rendre à tous les animaux leur liberté confisquée tout en délivrant l’homme de ses perversités les plus sombres. L’abolition de la corrida flotte tel l’étendard de celles et ceux qui s’apprêtent à affronter la plus terrible des guerres que notre terre nourricière n’ait jamais connue : survivre à l’humanité. Pour la première fois de son histoire l’homme a enclenché un processus tel qu’il est devenu une menace extrême pour sa propre espèce. A ceux qui pensent qu’il est utopique de vouloir changer l’ordre des choses je dis qu’il est très facile de changer le monde. Il suffit que chacun le veuille et agisse en ce sens. Ce qui est utopique c’est de ne rien faire pour stopper le mécanisme détonateur de l’énorme bombe à retardement que nous avons-nous même balancer dans notre jardin, en pensant que la situation va s’arranger par miracle. La libération animale est au centre de cette énorme défit qui nous attend pour ne pas s’entendre dire par nos enfants et petits enfants « les salauds, ils savaient ».
Par une industrialisation à tout va, une mondialisation irresponsable et une agriculture intensive nous avons plus que sérieusement compromis la santé de la planète et de ses habitants. La lutte contre le réchauffement climatique ainsi que la protection de la couche d’ozone passent, entre autre, par la suppression d’une agriculture sur-productiviste condamnée par les multinationales et les politiques à fournir l’alimentation des élevages intensifs destinés à la consommation humaine. Les consommateurs des pays riches se gavent de produits laitiers non indispensables à leur santé, d’œufs enrichis en antibiotiques tout droit sortis de véritables camps de concentration pour gallinacés, de nombreux poissons de mer dont on sait que les espèces sont en dessous de leur seuil limite de reproduction, de viande en surdose obtenue au prix fort d’une souffrance animale quasiment sacrificielle et complètement inutile puisque que l’alternative du végétarisme, bien que largement ignorée par nos dirigeants, est la seule qui soit viable d’un point de vue non seulement éthique mais aussi durablement écologique et philanthropique. Les habitants des pays pauvres et des pays en voie de développement ne peuvent pas acquérir notre standard actuel de vie, basé sur ce pillage de l’environnement et de la vie animale tout simplement parce qu’une seule planète n’y suffiraient pas : il en faudrait 6 ! Et ce ne sont pas les lobbies céréaliers qui changeront cet état de fait en voulant nous imposer des OGM, qui pour soi-disant nourrir le tiers monde ne serviront en définitif qu’à donner un formidable pouvoir de contrôle aux multinationales sur les états politiques. Les cultures OGM conquièrent encore plus de terre cultivables sur les forêts ou les terrains des pays tiers pour nourrir le bétail des pays riches et continuer de suralimenter leurs habitants tout en détruisant un peu plus au passage l’écosystème…
C’est dans l’après-midi que nous arrivons avec impatience à destination. Les manifestants des autres régions et pays sont déjà sur place. Le camping d’Aritzaleku se trouve au bord du barrage de Alloz, dans la Mérindade de Pampelune, distante de 40kms. Alors que certains s’empressent de planter leurs tentes d’autres découvrent leurs dortoirs dans les chalets du camp. Nous nous retrouvons bientôt tous pour se rafraîchir dans les eaux du somptueux lac de Lerate auquel nous avons un accès direct. En fin de journée, PETA offre un repas vegan de bienvenue. L’effervescence est palpable dans tout le camping, c’est une grande envie de communion autour d’une cause universelle qui nous rassemble et nous voudrions déjà être à demain pour crier les slogans qui nous tiennent à coeur. Une file d’attente se forme rapidement près du lieu de restauration monté en plein air. Des musiciens jouent des rythmes trépidants pour faire patienter la foule tandis que les groupes se forment et que les discussions s’engagent. Avec mon épouse nous faisons la connaissance de Nathalie et Christian, deux amis arrivés de Marseille et qui voyagent dans notre car. Les burgers que nous dégustons sont tout simplement délicieux et tout le monde apprécie le buffet qui les accompagne. La situation est presque cocasse : voir des centaines de personnes faire la queue pour manger végétalien c’est pour le moins très inhabituel ! Ne pas avoir à annoncer au serveur « je ne mange pas les animaux » en espérant qu’il veuille bien faire l’effort de nous proposer autre chose qu’une tomate vinaigrette pour le prix d’un plat du jour ou encore ne pas devoir se justifier pour la centième fois auprès de ses collègues de boulot, voir de notre famille, de notre choix du respect de la vie est une liberté savoureuse. Après le dîner, PETA expose les grandes lignes de la journée du lendemain et chauffe joyeusement la troupe pour jauger de sa motivation : aucun doute nous sommes motivés. Nous terminons la soirée au bar du camping avec Nathalie, Christian et Jérôme avec qui j’avais discuté en arrivant. L’atmosphère qui y règne est difficile à retranscrire. La propriétaire des lieux a inscrit « libération animale » sur les ardoises, les menus ne sont que végétariens, les regards et les sourires se croisent et s’échangent comme pour dire « je sais que tu sais », la musique bat son plein et les verres s’entrechoquent. Nous sommes sur une autre planète avec le sentiment d’être enfin revenus chez nous, dans un monde de tolérance et d’échange, d’amour et de paix où vivent paisiblement les animaux sans avoir à craindre la main de l’homme… A peine quelques heures que nous sommes rassemblés entre militants et l’osmose est d’ores et déjà complète… La lune ondule discrètement son reflet dans l’eau endormie du lac, les étoiles scintillent dans le ciel ombrageux qui s’apprête à nous couvrir de son voile humide pour la nuit. Pour certains c’est le signe de prolonger la fête et pour d’autres l’heure d’aller se coucher.
Mercredi 5 juillet, Pampelune
Le grand jour est enfin arrivé ! Nous débarquons en masse vers 10 heures, Plaza des Toros pour rejoindre le point de départ de la course humaine à quelques centaines de mètres. Comme un clin d’œil du destin, le car nous laisse devant le club taurin de la ville, là où les inconditionnels de la torture partagent autour d’un verre leur amour du taureau et l’art de le faire souffrir le plus longtemps possible. 40.000 taureaux sont assassinés chaque année, rien qu’en Espagne. Pour laisser toutes leurs chances aux toréadors, les taureaux sont régulièrement drogués (20% d’entre eux selon une étude de l’Associated Press), on leur administre des laxatifs, on leur frappe le dos avec des sacs de sable, leurs cornes sont limées, leurs muscles du coup parfois sectionnés pour les empêcher de relever la tête, leurs yeux emplis de vaseline pour brouiller leur vision… En passant devant les arènes nous ne pouvons retenir nos quolibets et autres sifflets à destination de quelques individus venus retirer des billets pour la prochaine corrida. Nous descendons les rues vers le point de convergence où nous rejoindrons des espagnols arrivés par leurs propres moyens. En tout nous serons plus de 1400 à défiler, de tous âges, de toutes confessions, de toutes nationalités et de tous horizons. 1400 c’est beaucoup… et c’est si peu quand en pense aux dizaines de milliers de personnes qui paient le prix fort pour s’entasser dans un stade en regardant des millionnaires en culotte courte jouer à la baballe. Nous formons bientôt une immense troupe gaiement homogène, habillée ou déshabillée de rouge et de blanc devant le corral de Santo Domingo. Les corps dénudés sont bariolés de tatouages anti-corrida, parés de masques en cartons ou encore recouverts d’inscriptions, décorés de peinture rouge qui rappelle le sang répandu des taureaux ou des hommes. Les équipes de télévisions et de radios espagnoles sont au rendez-vous et s’activent à filmer, enregistrer, interviewer… surtout les jolies filles car il n’en manque pas chez les végétariens !
La parade démarre bientôt au cris répétés de « toros si, toréos no » rythmé par le son des sifflets, tambours et autres instruments. Marionnettes géantes, jongleurs, danseuse, clowns juchés sur des échasses nous accompagnent et attirent le regard des chalands tout du long. Un cordon de policiers armés de fusils à gaz nous escorte tant pour notre sécurité que pour nous contrôler. Leur présence nous empêche de trop communiquer avec la population et interdit à tout public de se joindre à nous. D’autre part un arrêté du tribunal local nous interdit le passage dans l’une des rues les plus fréquentées du parcours et la police se charge bien de le faire respecter en détournant notre marche. Malgré tout beaucoup de spectateurs nous entourent et certains nous font part de leur soutien par leurs gestes d’encouragement, leurs sourires et leurs regards amicaux. Comme l’indique PETA « les touristes viennent à Pampelune pendant les fêtes de la St Firmin pour la musique, la nourriture et pour prendre du bon temps. Ils ne veulent pas particulièrement cautionner cette cruauté envers les animaux mais le problème est que la plupart d’entre eux ne savent pas que ces mêmes taureaux qui traversent la ville en courant (qui glissent et qui tombent dans les rues pavées, se blessant souvent sérieusement, terrifiés par le supplice) vont mourir dans un bain de sang le soir même. » Le parcours de 800 mètres nous semble trop court pour manifester mais il doit paraître extrêmement long aux taureaux. Nous arrivons bientôt dans le corral d’accès aux arènes et nous l’occupons jusqu’à la dernière minute du temps qui nous est imparti par les autorités. A côté de moi une dame de plus de 70 ans brandit sa pancarte, comme une leçon de sagesse donnée aux plus jeunes, sur laquelle on peux lire « faites l’amour pas la corrida ». Un dernier et virulent « La corrida no es la cultura, es la tortura » dans le mégaphone annonce déjà la fin de la manif.
A cet instant PETA avait prévu une grande fête à la quelle les habitants et les promeneurs étaient conviés mais la municipalité l’a interdite. Alors, après avoir récupéré nos vêtements nous partons par petits groupes découvrir le centre ville. Ce que nous y voyons ne nous incite pas à nous attarder car les rues, les places et les boutiques affichent toutes leur solidarité avec la tauromachie. Ce ne sont que tee-shirts bariolés de fausses tâches d’hémoglobines, affiches de taureaux crachant le sang ou photos de matadors les armes en mains. Nous profitons tout de même de quelques rafraîchissements à une terrasse de café avant de nous décider à rejoindre le bus du retour. Pour ce faire nous devons à nouveau passer près des arènes. Les portes, qui en sont ouvertes, commencent à accueillir les amateurs de boucheries. Nous devinons la présence des animaux derrière les murs épais de l’amphithéâtre, nous sentons leur odeur et percevons quelques meuglements discrets comme pour nous dire merci. Nous tombons presque nez à nez avec 2 toréadors qui descendent de leur luxueuse voiture, paradant comme des coqs en bassecour dans « leurs habits de lumière ». Ils ne comprennent pas les sifflets de certains d’entre nous qui les conspuent, tant ils ont l’habitude d’être adulé comme des dieux par quelques assoiffés de sang.
De retour au camping les sentiments se partagent entre amertume et satisfaction d’avoir agit comme nous le devions. Les discutions pour améliorer les préparatifs de la course humaine 2007 s’engagent rapidement entre militants et dureront jusqu’au bout de la nuit. Le lendemain les journaux hispaniques consacrent quelques lignes ou une page entière à notre action : objectif atteint. Des photos de PETA sont disponibles ici.
Bien sûr il y a encore beaucoup de luttes à mener et il faudra revenir de nombreuses années à Pampelune pour espérer voir changer les mentalités. Tout n’était certainement pas parfait mais je ne doute pas que PETA tiendra compte de l’avis demandé à tous sur cette manif 2006 et il n’appartient qu’à nous de faire évoluer les choses (je réserve en ce qui me concerne des observations détaillées à PETA). D’autres actions menées par d’innombrables associations de protection animale se mettent en place jour après jour dans chaque région de France et dans le monde entier. Elles viennent alimenter le flot constant des femmes et des hommes qui osent aujourd’hui s’élever contre leurs contemporains pour défendre le bien être animal. La course humaine a le mérite d’exister grâce à la détermination d’une vingtaine de militants qui en furent les courageux pionniers. Elle permet aussi à des centaines de végétariens de se retrouver, d’échanger, de communier et de repartir chez eux avec le sentiment intense d’avoir vécue un moment de partage inoubliable. Après Pampelune, nous savons que nous ne sommes pas seuls, que des millions d’êtres humains partagent nos convictions et que nous avons raison de nous battre pour les faire connaître et les défendre.
C’est avec une pensée pour Nath, Christian, Jérôme, Bernard, Claire, Laëtitia, Laurent, Stéphane et tous les autres dont ceux qui comme Vesna, n’ont pas pu participer, que je cite pour finir les paroles de la célèbre chanson de Francis Cabrel à écouter sans modération :
Depuis le temps que je patiente
Dans cette chambre noire
J’entends qu’on s’amuse et qu’on chante
Au bout du couloir ;
Quelqu’un a touché le verrou
Et j’ai plongé vers le grand jour
J’ai vu les fanfares, les barrières
Et les gens autour
Dans les premiers moments j’ai cru
Qu’il fallait seulement se défendre
Mais cette place est sans issue
Je commence à comprendre
Ils ont refermé derrière moi
Ils ont eu peur que je recule
Je vais bien finir par l’avoir
Cette danseuse ridicule…
Est-ce que ce monde est sérieux ?
Est-ce que ce monde est sérieux ?
Andalousie je me souviens
Les prairies bordées de cactus
Je ne vais pas trembler devant
Ce pantin, ce minus !
Je vais l’attraper, lui et son chapeau
Les faire tourner comme un soleil
Ce soir la femme du torero
Dormira sur ses deux oreilles
Est-ce que ce monde est sérieux ?
Est-ce que ce monde est sérieux ?
J’en ai poursuivi des fantômes
Presque touché leurs ballerines
Ils ont frappé fort dans mon cou
Pour que je m’incline
Ils sortent d’où ces acrobates
Avec leurs costumes de papier ?
J’ai jamais appris à me battre
Contre des poupées
Sentir le sable sous ma tête
C’est fou comme ça peut faire du bien
J’ai prié pour que tout s’arrête
Andalousie je me souviens
Je les entends rire comme je râle
Je les vois danser comme je succombe
Je pensais pas qu’on puisse autant
S’amuser autour d’une tombe
Est-ce que ce monde est sérieux ?
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